Visite d’achat et responsabilité du vétérinaire, quel comportement adopter lorsque le cheval ne lui est pas inconnu ?
La responsabilité du vétérinaire dans le cadre des visites d’achat fait l’objet d’un contentieux nourri.
L’acheteur mécontent de son achat a tendance à mettre systématiquement dans la procédure, le vétérinaire ayant réalisé l’expertise de transaction, et ce même quand il n’a pas de grief à son encontre. Sa mise en cause au stade de l’expertise judiciaire lui permet au minimum de démontrer le caractère caché du défaut, qui a échappé à l’analyse du vétérinaire. Le but de sa mise en cause est parfois plus agressif lorsque l’acheteur prétend que le vétérinaire a manqué à son obligation de conseil et d’information, soit en ne décelant pas certaines lésions dont le cheval était atteint, soit en minimisant les conséquences de celles-ci.
Dans le numéro 99 du Juridequi de septembre 2020 (édité par l’Institut du droit Equin) le Docteur Philippe LASSALAS a étudié de manière exhaustive et complète l’obligation d’information à laquelle le vétérinaire est tenu et notamment dans le cadre de cette visite d’achat, et nous vous recommandons vivement la lecture de cette chronique. Le Docteur LASSALAS rappelle notamment qu’en matière d’obligation d’information, le praticien à la charge de la preuve de démontrer qu’il a bien fourni l’information au propriétaire du cheval. « Décision de la Cour de cassation du 25 février 1997 celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une obligation d’information doit rapporter la preuve de l’exécution de cette obligation »
Cette information présente une importance capitale au moment de l’achat d’un cheval, puisque l’appréciation du vétérinaire va conditionner la décision de l’acheteur de prendre ou non le risque d’acquérir le cheval. Si plusieurs décisions récentes se sont montrées assez favorables au vétérinaire en l’exonérant de toute responsabilité (par exemple, Cour d’Appel d’Angers 13 mars 2018 le vétérinaire qui fait preuve d’optimisme ne commet aucune faute ; CA de NANCY, 3 octobre 2017 confirmé par la cour de Cour de Cassation le 22/05/2019, le vétérinaire fautif n’est pas condamné, le vendeur professionnel étant tenu du remboursement du prix et des dommages et intérêts ; CA AMIENS 12 novembre 2019 pour un vétérinaire qui a vu la tendinite mais a mal apprécié les conséquences ; CA TOULOUSE 14 juin 2021 le vendeur voit son action en garantie contre le vétérinaire fautif rejetée) il existe un point sur lequel le vétérinaire doit faire preuve d’une attention particulière lorsque le cheval objet de la visite d’achat a déjà été examiné au préalable par ses soins, ou qu’il n’est pas inconnu de la clinique vétérinaire.
Le vétérinaire face aux conflits d’intérêt
Un arrêt de la Cour d’appel de RENNES rendu le 4 juin 2021 se prononce sur ce point. Les faits étaient les suivants : à l’occasion de la vente d’un poney, l’intermédiaire à la vente conseille à l’acheteur de mandater pour la visite d’achat, un vétérinaire ayant déjà consulté le poney à 2 reprises dans les deux années précédant la vente. Le poney avait fait l’objet d’une consultation au Cirale dans le cadre d’un suivi locomoteur et de deux perfusions de TILDREN pour une dorsalgie modérée, traitement qui pouvait être considéré comme étant de simple confort pour ce poney qui participait à des grand prix et épreuves internationales. Le vétérinaire accepte de réaliser la visite d’achat sans rappeler expressément et par écrit à l’acheteur qu’il avait déjà connu le poney et les soins qu’il avait prodigués et sans communiquer le compte rendu du CIRALE. Le vétérinaire croit se protéger suffisamment en exigeant qu’une contre visite soit réalisée par un vétérinaire choisi par l’acheteur. Le vétérinaire réalise sa visite en gardant selon ses propos, « un regard neuf » sur le poney, comme s’il le voyait pour la première fois. Dans son compte rendu, le vétérinaire propose même de référer le poney afin “d’affiner le diagnostic et le pronostic en faisant pratiquer une imagerie dans un contre spécialisé tel que le CIRALE » sachant que le cheval avait déjà été vu par le CIRALE deux ans avant.
Plus d’un an après la vente, après que l’acheteur ait tenté en vain de revendre le poney avec lequel sa fille ne s’est pas entendue, l’acheteur réfère le poney au CIRALE et apprend que le poney a fait l’objet d’une consultation 2 ans avant son propre achat et que des soins ont été administrés par un vétérinaire, celui-là même qui a réalisé la visite. A l’occasion de la procédure intentée par l’acheteur et au cours de l’expertise judiciaire dans laquelle le vétérinaire sera mis en cause, ce dernier expliquera qu’il ne pouvait sans violer le secret professionnel communiquer à l’acheteur potentiel le compte rendu du CIRALE et les factures des soins qu’il avait administrés. En outre comble de malchance pour le vétérinaire ce dernier avait également par mégarde omis de procéder à la recherche des résidus médicamenteux qui lui avait été demandé par l’acheteur au jour de la visite.
Le Tribunal en première instance condamnera très sévèrement le vétérinaire en ces termes : « Il résulte de ce qui précède que le Docteur X même s'il prétend n'être intervenu que 3 fois sur (le poney) sur les 11 fois consacrées en 5 ans sur les chevaux de Monsieur Y a été reconnu comme le vétérinaire référent du poney litigieux par le Cirale qui lui a remis les deux volets de son compte-rendu du 17 janvier 2008, rapport obtenu très tardivement sur décision judiciaire par le demandeur et qu'il a admis n'avoir pas fait réaliser la prise de sang exigée pour rechercher des résidus médicamenteux dans la fiche de consentement du 14 septembre 2010. Dans ce contexte et en rappelant que pour établir un diagnostic, ce qui est le cas lors de la visite d'achat du 15 septembre 2010 réalisée par le Docteur X portant sur un animal de CSO de haute compétition d'une valeur de 100 000 €, l'article R 242-43 du code rural exige qu'ait été rassemblés les commémoratifs nécessaires et procédés aux examens indispensables, le Docteur X ne peut invoquer le secret professionnel pour expliquer au mieux ses omissions au pire ses dissimulations ». Le Tribunal condamnera le vétérinaire à garantir le vendeur (pourtant considéré de mauvaise foi par le Tribunal dès lors qu’il connaissait les défauts) à la fois pour le prix de vente et les dommages et intérêts soit une somme de près de 140.000 €.
En appel, la Cour confirmera le principe de la responsabilité du vétérinaire en ces termes :
« En sa qualité de vétérinaire, M. X s’est vu confier par l’acquéreur le soin de réaliser une visite d’achat du poney “Lancelot des Mares” à la suite de laquelle il a dressé un compte rendu le 15 septembre 2010. Dans ce compte rendu M. X indique en commentaire que le “poney présente des signes de dorsalgie modérée qu’il semble bien tolérer” précisant qu’il est “fréquent de mettre en évidence ces dorsalgies chez des chevaux de cet âge surtout à ce stade de la saison de compétition”. Ce compte-rendu tend à banaliser les dorsalgies en les replaçant dans un contexte saisonnier sans aucune référence aux résultats de l’examen pratiqué par le CIRALE en janvier 2008 qui avait mis en évidence l’existence d’une arthropathie du poney que M. X ne pouvait méconnaître pour avoir été le vétérinaire référent de cet examen et avoir été destinataire du compte rendu.
« C’est à bon droit que les premiers juges ont retenu que M. X avait manqué à ses obligations découlant de la mission qui lui avait été confiée par l’acquéreur et qu’il avait accepté sans réserve lui faisant obligation de recueillir conformément aux dispositions de l’article 242-43 du code rural l’ensemble des commémoratifs nécessaires à la réalisation de sa mission sans pouvoir se retrancher derrière le secret professionnel pour justifier l’omission d’une pathologie dont il avait connaissance. Il lui appartenait en tant que de besoin de refuser de pratiquer l’examen s’il estimait que sa réalisation le plaçait dans une situation de conflit d’intérêts. »
La Cour d’appel infirmera la décision sur le montant des sommes mises à la charge du vétérinaire ; il sera condamné au paiement de 50 % des dommages et intérêts, in solidum avec le vendeur, soit environ 25.000 € au lieu des 140.000 € ordonnés par le Juge de première instance.
Le raisonnement tenu par la Cour d’appel est parfaitement clair : si le vétérinaire dispose d’éléments médicaux concernant le cheval objet de la visite vétérinaire, il doit les fournir à l’acheteur potentiel, même si ces comptes rendus, ordonnances et factures appartiennent pourtant au propriétaire qui en a réglé le prix. Selon la Cour d’appel, sa seule alternative consiste à refuser de pratiquer la visite.
Il ressort de cette décision que le vétérinaire doit contacter le vendeur, propriétaire de l’équidé et s’assurer de son accord quant à la communication des documents médicaux dont il dispose. De même si c’est le vendeur qui demande au vétérinaire de réaliser une visite vétérinaire, le praticien doit informer son client qu’il ne pourra pas faire abstraction des soins précédents qu’il aura prodigué au cheval. A défaut, le vétérinaire s’expose à être lui-même l’objet d’une action en responsabilité de la part de l’acheteur qui lui a fait confiance ou de celui qui va acheter le cheval sans avoir eu l’exhaustivité des interventions médicales connues du vétérinaire qui a édité un compte rendu de visite d’achat.
Par comparaison, les dossiers vétérinaires constitués lors des ventes aux enchères des chevaux de course ou de sport ne comprennent que des images, les commentaires du vétérinaire ne sont pas joints, à charge pour l’acheteur potentiel de soumettre les images à son vétérinaire habituel ou même au vétérinaire présent le jour des ventes. A l’inverse, en présence d’une visite d’achat sollicité par un acheteur connu du vétérinaire, la prudence milite pour que le vétérinaire fournisse à l’acheteur potentiel l’intégralité de l’ensemble des documents dont il dispose, (images mais également les comptes rendus et rapports vétérinaires).
Cependant d’autres difficultés peuvent surgir ; par exemple les structures vétérinaires comportent plusieurs praticiens : or l’un d’eux peut avoir soigné l’équidé sans que son Confrère n’en soit informé. Cette hypothèse peut d’autant plus se produire que le nom de l’équidé n’est pas toujours connu au moment où le vétérinaire est mandaté, ou bien il est incomplet et le vétérinaire s’aperçoit tardivement que des soins ont déjà eu lieu par la clinique. Beaucoup de chevaux portent le même nom et des homonymes sont possibles. Or il est primordial que le vétérinaire soulève la difficulté avant toute intervention, afin de pouvoir le cas échéant, se retirer. Le meilleur moyen de ne pas se retrouver confronté trop tard à une telle difficulté, consiste à faire remplir et signer à l’acheteur potentiel ou au commanditaire de la visite, un formulaire de demande de visite d’achat dans lequel sera indiqué clairement le nom et le numéro de sire de l’équidé, ce qui permettra de vérifier aux vétérinaires de la clinique si le cheval a déjà été soigné (autre que des soins courants, tels vaccins ou vermifuges) et d’obtenir du propriétaire l’autorisation de communiquer l’ensemble des documents médicaux en leur possession. Ce formulaire de demande de visite d’achat comporte d’ailleurs de nombreux autres avantages tels que description des examens sollicités et contribue à protéger le vétérinaire en cas d’action à son encontre.
Me Blanche DE GRANVILLIERS
Champ d’application du secret professionnel des vétérinaires :
L’arrêt de la Cour d’appel de RENNES rendu le 4 juin 2021 évoque le secret professionnel auxquels sont tenus les vétérinaires comme de multiples professions réglementées (médecins, avocats, …).
Les professionnels tenus au secret professionnel sont des « confidents nécessaires » : cela signifie qu’ils ont besoin, pour exercer leur activité, qu’une relation de confiance s’établisse avec leur client (ou leur patient pour les médecins).
La question qui se pose pour les vétérinaires est de savoir si le secret auquel ils sont tenus concerne les informations relatives à la personne du propriétaire de l’animal ou si ce secret est étendu, contrairement aux autres professionnels concernés par ce secret, aux informations relatives à l’animal lui-même et à son dossier médical.
Il existe de nombreuses preuves pour affirmer que le secret professionnel auquel sont soumis les vétérinaires ne concerne pas le dossier médical de l’animal qu’il examine ou qu’il soigne !
Tout d’abord, il convient de rappeler que les animaux, bien que doués de sensibilité, restent juridiquement soumis au régime des biens.
Or, l’homme utilise, exploite, commercialise, transporte et parfois consomme ces biens (les animaux) alors que chacun de ces usages nécessitent la communication d’informations relatives au dossier médical de l’animal.
Prenons l’exemple du document d’identification des chevaux : ce livret ne reste pas entre les mains du propriétaire du cheval, conservant secrètes les informations médicales qu’il contient. Non, ce document anciennement appelé « d’accompagnement » accompagne le cheval tout au long de sa vie et renseigne quiconque le consulte sur les informations médicales qu’il contient : les vaccinations (et pas seulement les vaccinations concernant les maladies légalement contagieuses), la castration, la névrectomie (Depuis l’entrée en vigueur de la loi Dombreval), la recherche de résidus médicamenteux, les analyses de laboratoires… De même, lorsque les chevaux ne sont pas exclus de la filière bouchère, le vétérinaire précise et atteste par sa signature du nom des médicaments qui leur ont été administrés.
De manière similaire, les ordonnances rédigées et signées par les vétérinaires équins ne sont pas secrètement conservées par leurs clients : elles restent à l’écurie où elles peuvent librement être consultées par les commissaires de courses, par exemple, sur simple demande.
En réalité, chaque usage que l’homme fait de l’animal, et du cheval en particulier, nécessite des informations et de la transparence incompatible avec le secret professionnel.
A ma connaissance, il n’existe pas de jurisprudences à l’occasion desquelles des vétérinaires auraient été condamnés pour avoir communiqué des informations relatives au dossier médical d’un animal. A l’inverse, il est concevable qu’un client soit mécontent après la divulgation par son vétérinaire d’une information dont il n’a pas lui-même souhaité la communication.
Il existe par contre une jurisprudence de la Cour administrative d’appel de Marseille, du 1er février 1999, qui précise : « …alors même que la totalité des actes qu'ils accomplissent ne pourrait être regardée comme couverte par le secret professionnel, et que ce secret ne concernerait les actes accomplis qu'en tant qu'ils peuvent livrer des informations sur la personne des propriétaires des animaux soignés, les vétérinaires doivent être regardés comme étant soumis au secret professionnel au sens des dispositions susmentionnées … »
Dans le cadre de la décision rendue le 4 juin 2021, la CA de Rennes a rappelé que le vendeur est également tenu d’une information loyale vis-à-vis de l’acheteur. Ainsi, d’une manière générale, les vétérinaires ont tout intérêt à indiquer sur leurs comptes-rendus de visite d’achat qu’ils ont interrogé le vendeur où son représentant au sujet des antécédents médicaux ou chirurgicaux connus ou déclarés, puis à consigner les informations ainsi recueillies. Toute réticence de communication de ces informations déterminantes protègera le vétérinaire s’il est ultérieurement mis en cause. Dans la mesure ou il est interdit à un vétérinaire d’établir un diagnostic sans avoir au préalable recueillis les commémoratifs nécessaires, l’interrogation du vendeur est une obligation et la transcription des informations obtenues (ou pas) un gage de sécurité pour le vétérinaire à l’occasion des visites d’achat.
Entré en vigueur depuis le 02 décembre 2021, l’article L241-5 du Code rural et de la pêche maritime est désormais libellé comme suit : « Tout vétérinaire, y compris un assistant vétérinaire, est tenu au respect du secret professionnel dans les conditions établies par la loi. Le secret professionnel du vétérinaire couvre tout ce qui est venu à la connaissance du vétérinaire dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire ce qui lui a été confié mais également ce qu'il a vu, entendu ou compris. »
Dr Vre Philippe LASSALAS
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